LES MEDIA SONT-ILS FIABLES ?


On va dire « oui, globalement », avec de grosses nuances.

C’est vrai que nous sommes de parti pris, car nous sommes des journalistes et que nous croyons dans notre travail. Mais nous avons eu, à plusieurs reprises dans nos carrières respectives, des moments où il fallait se battre avec notre hiérarchie pour ne pas trahir la réalité d’un reportage ou d’une enquête. Il nous est même arrivé de perdre un emploi suite à ce genre de conflit. Journaliste, c’est un sport de combat…

Une chose est sûre, le citoyen qui veut s’informer doit toujours garder un œil et une écoute critique, car les journalistes peuvent aussi relayer de fausses informations données par des sources qu’ils pensent fiables. Ils sont alors victimes de manipulations. Et puis surtout, la vérité historique ne saute pas aux yeux, il faut souvent des mois voire des années pour que les enquêteurs arrivent à démêler les infos et les intox. C’est dans la durée qu’on peut juger du sérieux d’un média.

Collin Powell Anthrax at NATO

Lorsque Colin Powell a expliqué à la tribune de l’ONU le 5 février 2003 que l’Irak faisait partie de « l’axe du mal », et qu’il prétendait que Saddam Hussein détenait « des armes de destruction massive », il mentait. Pourtant son discours a été relayé dans la plupart des media du monde et ce mensonge a débouché sur la Guerre en Irak. Depuis, la plupart des média ont établi que l’administration Bush avait instrumentalisé Saddam Hussein pour protéger l’accès des USA au pétrole, et ils ont expliqué comment ils avaient été trompés.

Zyed et Bouna

Lorsque survient le 2 novembre 2005 le décès de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois alors qu’ils sont poursuivis par la police, les premières dépêches s’appuyant sur des sources policières parlent de jeunes poursuivis pour « un vol sur un chantier ». On sait aujourd’hui, grâce à plusieurs enquêtes, médiatiques et judiciaires que c’était faux : Zyed et Bouna n’avaient rien fait de répréhensible, ils ont juste eu peur de la police et se sont cachés dans le transformateur électrique. Les policiers ont cru qu’ils avaient à faire à des délinquants, on connaît la suite : la mort tragique des jeunes et des banlieues en colère qui s’embrasent pendant plusieurs jours. En fait, dans cette affaire, tout le monde s’est trompé : les jeunes, les policiers, les politiques et les journalistes. De nombreux articles de fond et documentaires sont revenus sur cette affaire et la vérité des faits est maintenant connue.

→ Lire l’analyse Acrimed du traitement médiatique du décès de Zyed et Bouna

Pourquoi les media se trompent-ils parfois ?

Le plus souvent, c’est parce qu’ils vont trop vite pour être les premiers à publier une info avant leurs concurrents. Il faut du temps pour vérifier une info. Les épisodes récents des attentats à Paris et Nice montrent qu’à trop se précipiter, on dit des bêtises, on en rajoute dans l’horreur, on tire des conclusions hâtives… Nous avons tout intérêt à nous méfier de ces moments de passion, où les média et particulièrement les chaînes d’info en continu cherchent à faire de l’audience pour nous vendre de la publicité.

Depuis quelques années, la crise de la presse et la baisse des moyens des rédactions ont des conséquences sur la qualité de l’information qu’ils ne sont pas assez nombreux à travailler (budgets trop limités).

Il arrive aussi qu’ils évitent de donner une information. Quelquefois par conviction politique ; un journal de gauche va éviter de dire du mal des syndicalistes, pour ne pas froisser son lectorat. D’autres ne pourront pas publier une information car elle pourrait nuire à un actionnaire important, c’est ce que l’on appelle un conflit d’intérêt. Il n’y a par exemple quasiment jamais de sujet de TF1 sur les problèmes de l’EPR de Flamanville car c’est Bouygues qui le construit, et que Bouygues est l’actionnaire majoritaire de TF1. De même que Le Figaro ne parle pas ou très peu des affaires judiciaires de Serge Dassault, pour la même raison.

→ le site ArrêtSurImages.net explique pourquoi Le Figaro parle très peu des affaires judiciaires de Serge Dassault

Début 2016, le rédacteur en chef adjoint de Spécial Investigation sur Canal+ révélait que la chaine refusait des sujets sur des secteurs d’activité qui concernent Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire de la chaine.

→ Lire l’article de Télérama sur la censure des sujets dans l’émission Spécial Investigation

 

Alors qui croire ?

En fait, c’est toujours dangereux de « croire » à priori, le mieux est de s’informer auprès de plusieurs sources, pour se construire une solide opinion. Un journaliste ne « croit » personne à priori. Même une personne qui semble sympathique peut être de mauvaise foi et vouloir travestir les faits. Tout au long de son enquête il doit remettre en question ses certitudes, ses propres préjugés.

Pour ne pas vous faire avoir, il est important d’élargir votre spectre d’information. Nous avons tous nos medias et sites favoris : ceux qui nous plaisent, nous amusent, nous ressemblent et souvent pensent comme nous. C’est la base de notre réseau qui tous les jours nous nourrit d’information via les réseaux sociaux.

Mais un citoyen qui se veux informé et qui prétend critiquer les médias dominants doit savoir ce que les autres, ceux qui ne sont pas de son monde, racontent et pensent. Si votre source d’information principale c’est TF1, vous risquez d’avoir une piètre opinion des jeunes des quartiers, mais si vous ne lisez que le Bondy Blog, vous aurez du mal à comprendre les difficultés des petits artisans. Si vous ne jurez que par Mediapart, vous  ne connaitrez rien de l’actualité de votre ville et de votre région proposée par France 3. Si vous dévorez les gossip sur Melty.fr vous n’arriverez jamais à comprendre la géopolitique expliquée sur Arte dans l’émission Le dessous des cartes. Le Net est un formidable lieu de liberté, qui regorge d’idées et d’informations passionnantes, encore faut-il savoir l’explorer pour en profiter au maximum. Un conseil : sur votre Facebook, aller liker quelques pages de grands média qui ont les moyens en matériel et en ressources humaines pour mener des enquêtes de qualité.

La vérité est-elle sur Facebook ?
La vérité est-elle sur Facebook ?

La défiance envers les média traditionnels est grandissante. Dont acte. Mais pourquoi faire confiance à une vidéo Youtube postée par un inconnu, si on pense que TF1, ou le Monde, ou Mediapart, ou LaTéléLibre nous mentent ? Soyez critiques envers tout le monde. Ce n’est pas parce que l’auteur d’un blog affirme qu’il détient la vérité contre tous les média dominants vendus aux multinationales qu’il a raison. Certes, il fait le buzz, mais au fond qu’est-ce qui l’intéresse ? La vraie info, celle qui est difficile à obtenir, ou la célébrité ? Les journalistes ont certes des défauts, mais ils ont des méthodes pour déjouer les pièges. En notre époque numérique, une info importante est très vite diffusée sur la plupart des média. Si une info présentée comme un scoop reste sur votre site favori, et n’est reprise par aucun autre, il faut alors commencer à douter, et chercher comment cette info a été produite : d’où vient l’info ? Est-elle nouvelle, où a-t-elle déjà été donnée en premier ? A quelle date ? D’où viennent les images ? Qui est l’auteur de l’article? A-t-il un intérêt à sortir cette info ? Qu’a-t-il déjà écrit ? Est-il crédible, reconnu par d’autres personnalités ou média ?

Vous trouverez dans le Kit de survie de Stop Intox des outils pour apprendre à chercher…

Vive la liberté de la presse